Sur Wagner Antisémite

RAPPORT

L’ultime conférence de la série automnale du cycle Politique et Musique s’est structurée à la façon d’un dialogue engagé entre le musicologue Jean-Jacques Nattiez et l’avocat Julius Grey, qui se sont proposés de débattre autour du récent livre de M. Nattiez, « Wagner Antisémite ». M. Nattiez, qui présente le problème de l’antisémitisme wagnérien à travers la nécessité de reconnaître malgré tout son génie musical, rejette catégoriquement le négationnisme musicologique ambiant: il lui semble aussi inadmissible de nier ou d’ignorer les propos antisémites du compositeur que d’en dissocier sa musique. Nattiez fait le choix téméraire de projeter le contenu des essais wagnériens sur ses œuvres, et propose par une série d’exemples (utilisation de l’appogiature, musème de la judaïté) et d’anecdotes (rapportées par Cosima Wagner ou d’autres sources musicologiques) une interprétation sémiologique de la musique de Wagner comme indéniablement antisémite. Se pose alors la question d’une interprétation antisémite de Wagner et de l’ampleur de sa participation aux développements historiques dont la Shoah fut la terrible apogée. À l’inverse, Me Grey propose de dissocier la musique de Wagner de ses propos : si le personnage était sans nul doute antisémite et que cet antisémitisme n’est justifiable ni par l’époque ni par le contexte, Me Grey revient sur la personnalité et les propos précis de Wagner et refuse de comprendre son antisémitisme à travers les interprétations et commentaires de tierces parties, fussent-elles sa femme ou ses collaborateurs. Il insiste sur l’ambiguïté des termes allemands et la contemporanéité de la question de l’assimilation : se moquer, rappelle-t-il, n’est pas la preuve d’une haine ou d’un désir d’extermination. Il met en lumière la facette radicale, transgressive et morale des opéras de Wagner, dans lesquels la loi et la conformité sont perpétuellement remises en question, et la croyance, celle-ci ancrée dans le 19e siècle, d’une division de l’humanité en races. Me Grey, s’il ne nie pas l’antisémitisme de Wagner, le comprend cependant selon un sentiment de supériorité de l’art allemand, et absolument pas comme un préambule à l’extermination physique des Juifs. Il termine sur la distinction, commune à plusieurs figures musicales et littéraires de l’époque, entre la pensée antisémite et l’œuvre, distinction basée sur la conscience de devoir prémunir celle-ci du passage du temps. Si la question n’est pas réglée, le dialogue entre M. Nattiez et Me Grey lui rend toute sa complexité et sa profondeur, et l’inscrit définitivement dans la contemporanéité, dans les passions, dans cet espace radical de la musique et de la politique.

ANNONCE

La série Politique et Musique, organisée par Mariella Pandolfi et le Groupe international de formation à la recherche (IRTG) Diversity, conclura sa saison d’automne le vendredi 4 décembre prochain avec la conférence « Sur Wagner antisémite », qui sera l’occasion d’un dialogue entre Jean-Jacques Nattiez, musicologue et professeur à l’Université de Montréal, et Me Julius Grey, avocat. Au delà d’un intérêt musicologique et historique évident, la question de l’antisémitisme wagnérien rend absolument inséparables politique et musique : son importance contemporaine exige une réflexion politique, musicale et éthique profonde et difficile. Les présentations de M. Nattiez et Me Grey concluront ainsi ce chapitre de Politique et Musique en réitérant l’importance fondamentale de ces thèmes et des passions qu’ils révèlent pour comprendre le contemporain.

L’IRTG et le Centre canadien d’études allemandes et européennes (CCEAE) sont fiers de se joindre au Consulat général d’Allemagne à Montréal et au consul général Walter Leuchs pour vous inviter à cette conférence, qui sera suivie d’un « apéro musical » à partir de 16h. La conférence sera aussi l’occasion de souligner, en collaboration avec La librairie de l’Université de Montréal, le lancement du livre de M. Nattiez, « Wagner antisémite ».

Quand : Le 4 décembre 2015, de 13h à 16h

Lieu : Carrefour des arts et des sciences, salle C-1017-2
Pavillon Lionel-Groulx, 3150 rue Jean-Brillant
Métro Université de Montréal / Métro Laurier, autobus 51 ouest

Entrée gratuite ! Réservations : virginie.laliberte.b@gmail.com